Estados Generales del Psicoanálisis

Réponses a Paulo Roberto Pires
juillet 1998

René Major

1. Comment vous interprétez l' intervention de J. Allouch (dans son livre) dans le débat suscité par le travail de Helena Besserman?

R.M. L' immense mérite de Helena Bessermman Vianna est d' avoir su tenir bon pendant de longues années devant la négation de l' histoire qu' on lui opposait et devant l' accusation de calomnie dont faisait l' objet la vérité qu' elle soutenait. Elle a patiemment accumulé les documents qui, sans sa vigilance, auraient disparu et auraient été soustraits à l' étude historique. Pour qui entend parler pour la première fois de l' existence d' un psychanalyste ayant prété son concours à la torture exercée sous la dictature militaire, la chose est totalement insupportable. C' était le cas pour la majorité des 300 psychanalystes qui assistaient à la réunion à Paris à laquelle étaient présentes Helena Besserman Vianna et Maria Menezes qui, elle-même, a été tortionnée. C' est à la suite du témoignage de cette dernière que Jean Allouch vociféra de la salle sa question : "Amilcar Lobo torturait-il en tant que psychanalyste ou en tant que médecin?", incapable sur-le-champ de s' en expliquer, bien qu'il fût invité à le faire. Tout son petit livre, qui travestit ce récit authentifié de l'événement, tente, à travers des raisonnements tordus, de justifier cette dissociation ou cette disjonction. A témoin ce qu' il appelle son "contre-exemple" : Lorsqu'il ‚tait lui-même en analyse chez Lacan, il lui est arrivé, lors d' un congres, de se trouver aux toilettes aux cotés du "maître" en train de se coiffer. Il prétend ne pas pouvoir dire qu' il a vu son analyste se coiffer en ce lieu. Tout au plus peut-il dire qu' il y a vu quelqu' un qu' on appelle Lacan. Ainsi si quelqu' un en analyse chez Lobo a réellement été torturé en prison par ce même Lobo, il ne peut pas dire qu' il a été torturé par son analyste. Il peut seulement dire, selon Allouch, qu'il a été torturé par quelqu'un du nom de Lobo. Voilà le tour de passe-passe. Mais, de surcroît, si Allouch avait lu le livre de Helena Besserman Vianna, il saurait que ce n'est pas une analysante ou ex-analysante de Lobo qui a identifié Lobo comme tortionnaire, comme il l'affirme mais une autre femme qui ‚tait torturée, une femme qui porte témoignage auprès de celle qui est en analyse chez Lobo. Allouch escamote complètement cette question du témoignage, tellement il tient, malgré ce qu' il affirme, au couple analyste-tortionnaire et analysante-torturée. Pourquoi s' identifie-t-il à ce point à Lobo, je vous le donne en mille.

2. Dans l' histoire de la psychanalyse, quelle est, a votre avis, les lieux occupés par des discussions proposées par H. Besserman et J. Allouch?

R.M. La psychanalyse fonde un rapport à la parole, un rapport à l'autre et un rapport aux traces de la mémoire qui est de l' ordre de la vérité. Cette vérité parle aussi bien à travers le mensonge et les déformations de toutes sortes qu' à travers ce qui est soustrait à la conscience à son insu. Le récit de l' histoire, individuelle ou collective, comporte donc une part de subjectivité en raison des désirs, des illusions, des convictions ou des dogmes qui habitent la formation et la composition de ce récit. Freud a tracé la voie d'une lecture psychanalytique de l' histoire dans L' homme Moisé et la Religion Monothéiste en appuyant son interprétation sur la vérité matérielle, celle des archives notamment. S' agissant de l' histoire de la psychanalyse, si l' on veut allier ces deux disciplines que sont la méthode psychanalytique et la méthode historienne, il faut être en mesure d'articuler rigoureusement son interprétation ... la lecture des documents. C' est ce que fait Helena Bessermnan Vianna sans jamais obturer son travail de façon dogmatique. Ce faisant, elle peut mettre en évidence un symptôme dont a hérité l'histoire de la psychanalyse à partir de l'occultation de son intrication au politique avec l' avènement de la dictature nazie. Ce dont se souciait Freud déjà dans L 'homme Moise précisément. La santé de la psychanalyse passe aussi par la reconnaissance de ses refoulements. Allouch, au contraire ne voit dans ce travail sérieux que l'oeuvre du Surmoi, comme s'il s'agissait de ne plus en avoir et se livre à ses interprétations politiques les plus fantaisistes, voire les plus loufoques, comme celle d'une O.P.A. de Derrida sur la psychanalyse. Il lance des rumeurs en guise de pensée. A la présentation de son livre à Paris, qui suivait de quelques jours la mort de Lobo, il n'excluait pas publiquement qu'il put y avoir un rapport de cause à effet, que la parution de son livre ait foudroyé Lobo. Le plus sérieusement du monde.

3.Croyez vous qu' il y a une confusion dans toute cette discussion sur le concept d' étique psychanalytique? Pourquoi?

R.M. Je réserverai une discussion sur la notion d'éthique en psychanalyse ou d'éthique de la psychanalyse pour une autre occasion. Ce serait trop long. Disons ici simplement que le mode de rapport à l'autre, à la parole, à la vérité que met en oeuvre la pratique de la psychanalyse appelle un nouveau concept de responsabilité, plus étendu que ce que nous entendons par là habituellement. Le sujet est placé en position d' avoir à répondre de ses rêves, de ses pulsions, de ses lapsus, de ses actes manqués, bref de l'inconscient en lui. De tenir parole à cet égard, qui implique souvent de répondre en ne répondant pas, de laisser l'autre advenir comme sujet tout autre, fonde bien quelque chose comme une éthique ou qui s'apparente a ce qu'on appelle l' éthique depuis Platon, Aristote ou Kant, Ou bien on examine ce que la psychanalyse modifie d'une conception traditionnelle de l'éthique, ce qui veut dire aussi du politique, du social et du juridique, donc des rapports qu'ils entretiennent en les modifiant, ou bien on décide (comme le fait Allouch) que la psychanalyse rend caduque toute idée d' éthique avec les conséquences que cela implique, à savoir une disjonction du politique, du social et du juridique. Elle fonderait alors sa propre loi en marge de toute loi de la cité, comme le font les Sectes.

Nous n'avons jamais préconisé "une conception de l' éthique comme instrument analytique" comme Allouch l'affirme pour pourfendre, sur son cheval inquisiteur, un ennemi imaginaire. En revanche, il forge dangereusement son arme de combat dans la "sectification" de la psychanalyse.

4. Comment répondre la question posée par Allouch sur qui était là au moment de la torture, le psychanalyste ou le militaire?

R.M. S'il fallait se poser la question, à supposer qu'il le faille, de savoir si Amilcar Lobo torturait "en tant que" psychanalyste, ma réponse serait a 1'opposé de celle d' Allouch. Je m' étonne de le voir répondre si peu analytiquement : "Il semblait bien que ça n'était pas en tant que psychanalyste qu'il avait été prié de participer à la torture par sa hiérarchie militaire". Premièrement, pourquoi aurait-il tenu alors a se faire reconnaître, fût-ce par un acte manqué, comme "analyste" connu comme tel, alors qu'il était à sa fonction de tortionnaire, en laissant apparaître son nom sur sa chemise? Secondement, dans la mesure où la dictature savait qu'il était en analyse didactique et que les instances de son Institut de formation savaient que sa hiérarchie militaire le savait, le psychanalyste et le tortionnaire, pour ne pas dire la psychanalyse et la torture, devenaient indissociables, dans une co-implication, comme aurait dit Lacan, de la psychanalyse en intension et de la psychanalyse en extension où, plus simplement, dans une intrication du privé et du public.


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