Psicoanálisis y Estado

"La France freudienne doit être à l'avant-garde
d'un nouveau combat contre l'obscurantisme"

Jean Birnbaum

LE MONDE | 12.01.04 |

"CETTE FOIS, j'ai pénétré la salle des machines" : c'est en ces termes que Jacques-Alain Miller (dit "JAM") tire aujourd'hui le bilan de sa rude campagne contre l'amendement Accoyer. Deux mois d'assaut durant lesquels ses amis les plus fidèles auront été sollicités, y compris dans les milieux politiques – notamment Roland Dumas, en direction du PS, et Blandine Kriegel, pour l'Elysée. "Hier j'ai déjeuné avec mon premier sénateur, rompant ainsi avec une posture de trente ans. Auparavant, je n'avais jamais rien demandé à un homme politique", avait confié au Monde le chef de file de l'Ecole de la cause freudienne, à la veille du quatrième Forum psy, prévu samedi 10 janvier à Paris.

Pour l'occasion, outre les représentants de la Coordination psy, JAM avait voulu mobiliser ceux qu'il nomme "les chevau-légers de l'intelligentsia", et d'abord les écrivains et philosophes Philippe Sollers – qui devait ouvrir le meeting par une intervention aussi lacanienne que décalée –, Elisabeth Roudinesco, Jean-Claude Milner, Catherine Clément et Bernard-Henri Lévy. "Je sens qu'on va refuser du monde", avait prophétisé ce dernier, de Jérusalem où il se trouvait pour un hommage à la mémoire de Benny Lévy.

Et de fait, si "BHL" n'était pas encore arrivé, la température était déjà élevée et les places assises très rares dans le salon Jussieu de la Mutualité, samedi vers 14 heures, à l'ouverture du meeting organisé "pour les libertés" et "contre les projets orwelliens du ministère de la santé". Devant plus d'un millier de personnes, Jacques-Alain Miller a pourfendu "le point de vue néo-hygiéniste et autoritaire de l'administration", avant de menacer, en tambourinant du poing sur la table : "Je dis tranquillement que ce n'est pas le texte d'une loi de la République. A une telle loi, nul n'est tenu de se conformer. Si, à Dieu ne plaise, elle venait à être votée, il ne nous resterait plus qu'à entrer dans la voie de la désobéissance civile..."

Sans aller jusque-là, Jack Lang s'est lui aussi enflammé contre "la dictature de la technocratie et de l'administration". S'amusant à égrener les "perles" du député Accoyer à l'époque du débat sur le pacs ("Ce n'est pas du Baudelaire", a-t-il ironisé, en un clin d'œil à Sollers), l'ex-ministre a exhorté l'assistance à "refuser la domestication des esprits". Puis s'avança Murielle Schor, élue (UMP) de Paris (17e), qui se présenta comme "femme de droite et analysée, amie d'enfance de Jacques-Alain", pour s'engager à "faire le lobbying de la psychanalyse auprès du gouvernement".

"LA CONSPIRATION DES IMBÉCILES"

Enfin, cette série d'interventions fut conclue par une allocution proprement spectrale de François Bayrou, qui était absent, mais auquel Gérard Miller (le très médiatique frère de JAM) entreprit de prêter sa voix, sur le mode du "je lui ai demandé si" et du "il m'a dit que": "L'affaire Accoyer n'est pas une petite affaire. Au bout, il y a la dictature", aurait donc affirmé le dirigeant de l'UDF.

Contrôle des corps, discipline des âmes et tentation totalitaire : c'est en se référant à la lettre et à l'esprit de Michel Foucault qu'Elisabeth Roudinesco a retracé la généalogie moderne des politiques de santé mentale, pour affirmer que "la France freudienne doit être à l'avant-garde d'un nouveau combat des Lumières contre l'obscurantisme des expertiseurs et des dépisteurs d'inconscient". De même Bernard-Henri Lévy a-t-il marqué que "la vision infernale de Foucault trouve aujourd'hui à s'incarner sous le visage un peu grotesque des représentants de la pensée évaluatrice", appe-lant l'assemblée à briser "la conspiration des imbéciles".

Mais c'est à Jean-Claude Milner qu'il revint d'électriser pour de bon cette réunion, au point de la faire virer au "meeting": annonçant le "retour des classes dangereuses" et la volonté étatique de transformer chaque "psy" en "gardien du sommeil des maîtres", il a conclu, sous un tonnerre d'applaudissements, en posant simplement ceci : "Ce qui s'est passé ici, c'est une tentative de faire du bruit pour que ceux qui dorment se réveillent. Et, s'ils sont somnambules, ils tomberont."

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.01.04

Volver al menu general de capítulos del foro

PsicoMundo - La red psi en Internet