COMENTAIRE SUR LE TEXTE DE JEAN HYPPOLITE
SUR DIE VERNEINUNG, FREUD, 1925.

E. Mahieu

(Présentation de Malades de l’Unité Clinique de Sainte Anne, Section Clinique de Paris,
Département de Psychanalyse, Université de Paris VIII, Avril 1997)

I - Quelques éléments biographiques concernant Jean Hyppolite.

Jean Hyppolite, philosophe français, est né à Jonzac en 1907. En 1925 il entre à l'Ecole Normale Supérieure où il rencontre Sartre, Merleau-Ponty, Canguilhem, qui deviendront ses amis et avec qui le débat va se poursuivre tout au long de sa vie.

Entre 1939 et 1941 il traduit la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel qui n'aura de diffusion importante qu'après la guerre. En 1946 il publie Genèse et Structure de la Phénoménologie de l'Esprit. Cet ensemble a été qualifié par J. D'Hondt (2) de "Retour à Hegel d'Hyppolite" et il signale l'importance de l'impact dans les milieux intellectuels français de cette traduction et de son commentaire. Entre 1953 et 1956 il assiste aux séminaires de J. Lacan.

Jean Hyppolite est nommé directeur de l'Ecole Normale Supérieure en 1954. Louis Althusser (1), évoque de lui le fait qu'il cherchait sans cesse les contacts avec les milieux scientifiques, comme témoigne son amitié avec le physicien Yves Rocard.

C'est dans le séminaire de cette année, qui sera connu après comme le Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, qu'il fait son intervention célèbre sur la Dénégation. D'après François Dosse (3), "sa lecture vise à intégrer le freudisme comme étape constituante du logos, de l'Esprit tel que Hegel le voit à l'oeuvre dans l'histoire; il voulait en somme montrer comment on pourrait inclure l'oeuvre de Freud dans une phénoménologie de l'esprit contemporain. Il construisait ingénieusement une nouvelle figure de l'esprit, celle de la conscience dénégatrice".

En 1960 participe au colloque organisé par Henri Ey à Bonneval sur l'Inconscient. En 1961 il est membre du jury de la soutenance de la thèse sur la folie de son élève Michel Foucault. En 1975, Michel Foucault envoie à la femme d'Hyppolite un exemplaire de Surveiller et Punir avec pour dédicace: "A Madame Hyppolite, en souvenir de celui à qui je dois tout." En 1963 il entre au Collège de France et il abandonne l'Ecole Normale Supérieure où il est remplacé par Flacelière. J. Hyppolite meurt à Paris en 1968 alors qu'il est en train d'organiser le Congrès Hegel de Paris qui eut lieu sans lui.

II- Le Contexte de l'intervention d'Hyppolite. L'interprétation dialectique de Freud.

Le commentaire du texte de Freud "Die Verneinung", se fait à la demande, insistante dit Hyppolite, de Jacques Lacan, alors qu'il assiste régulièrement au séminaire. Elle a lieu le 10 Février 1954. Après d'avoir signalé que la structure du texte de Freud est énigmatique, Hyppolite révèle par une dénégation, comment il va interpréter la façon dont Freud construit son texte: "C'est une construction du texte que je ne veux pas dire dialectique, pour ne pas en abuser du mot ..." C'est donc, principalement à l'aide d'un certain nombre de catégories de la dialectique hégélienne, présentes pour la plupart dans l'œuvre de Lacan à cette date, qu'Hyppolite interprète le texte de Die Verneinung.

III - Les axes de Die Verneinung.

Hyppolite résume quels sont pour lui les axes principaux du texte de Freud: d'une part l'analyse de cette attitude concrète, qu'est l'acte même de la dénégation (ici le mot concret doit être pris dans le sens que lui donnait Politzer); d'autre part, la possibilité de voir l'intellectuel se dissocier [en acte] de l'affectif (une attitude de négation, symbolique); enfin et confondu avec le précédent l'origine du jugement et de la pensée elle-même, car, comme Hyppolite le précise bien, la seule façon de rendre le texte compréhensible est de distinguer la négation interne au jugement et l'attitude de négation. Avec l'aide des catégories dialectiques, il va distinguer entre une négation proche d'un instinct de destruction, une négation symbolique et une négation de la négation.

Il est à noter, d'autre part, que tout au long de son intervention Hyppolite manie les termes d'intellectuel, intelligence, jugement et pensée comme relativement équivalents et comme opposés à un affectif primordial, dont nous verrons plus tard comment il faut l'entendre.

 

1. L'ANALYSE DE L'ATTITUDE CONCRETE.

1 - Présenter ce qu'on est sur le mode de ne l'être pas.

Hyppolite commente les exemples concrets cités dans le texte de Freud, la dénégation par projection (vous allez sans doute penser que ...), la dénégation proprement dite (je ne veux certainement pas vous offenser ...), et le procédé par lequel on demande à la personne ce qui est le plus invraisemblable pour lui dans une situation donnée et c'est cela précisément qu'il faut prendre pour la vérité.

D'après Hyppolite, Freud procède, à partir de l'attitude concrète de la dénégation, à une généralisation où il va poser le problème de la dénégation en tant qu'elle pourrait être l'origine même de l'intelligence. C'est là qu'il situe la densité philosophique du texte: une analyse de procédés concrets, généralisée jusqu'à rencontrer son fondement dans un mode de présenter ce qu'on est sur le mode de ne l'être pas.

2 - L'Aufhebung.

Dans son texte, remarque Hyppolite, Freud s'introduit à la question de la dénégation utilisant le terme Aufhebung, qui est le mot dialectique de Hegel qui veut dire à la fois nier, supprimer et conserver, et foncièrement soulever: "La dénégation est une Aufhebung du refoulement, mais non pour autant une acceptation du refoulé."

Dans la Science de la logique, Hegel (7) explique ce concept: ""Dépasser" et "le dépassé" (l'idéel) est un des plus importants concepts de la philosophie, une détermination fondamentale qui revient absolument partout, dont il faut saisir le sens avec précision, et qu'il faut en particulier distinguer du néant. Ce qui se dépasse ne devient pas pour cela le néant. Le néant est immédiat; un terme dépassé par contre est medié (vermittelt), il est un non étant, mais en tant que résultat qui est né d'un être; il a donc encore en lui la détermination dont il provient.

"Aufheben" a dans la langue deux sens. Ce mot signifie "garder", "conserver", et en même temps "faire cesser", "mettre fin à.." Le conservé contient en lui déjà cet élément négatif qui consiste en ce que quelque chose est enlevé à son existence immédiate et par là aux influences de l'existence extérieure. Ainsi donc le terme dépassé est en même temps quelque chose de conservée qui a seulement perdu son existence immédiate, mais n'est pas pour cela détruit. Les deux définitions données de l' "Aufheben" peuvent être étymologiquement présentées comme deux significations du mot. Il est remarquable qu'une langue en soit venue à employer un seul et même mot pour deux significations contraires. [...] Quelque chose ne se dépasse que dans la mesure où cette chose est entrée en unité avec son opposé."

Dans ces quelques mots Hegel introduit quelques concepts qui seront de grande utilité pour la compréhension de l'intervention d'Hyppolite: le néant, le négatif, la médiation et l'opposition de contraires dans l'unité. Destruction, négation véritable, négation symbolique, négation idéale, son certains des concepts qu'il va extraire du texte de Freud.

Présenter son être sur le mode de ne l'être pas, poursuit Hyppolite, c'est vraiment de cela qu'il s'agit dans cette Aufhebung du refoulement qui n'est pas une acceptation du refoulé. Le refoulement subsiste quant à l'essentiel. Et il énonce les temps de l'acte concret: dans un premier temps: "voilà ce que je ne suis pas", le refoulement subsiste sous la forme de la dénégation. Dans le temps de la fin, le psychanalyste m'oblige à accepter ce que je niais tout à l'heure, et pourtant le refoulement subsiste: c'est la négation de la négation.

 

2. LA DISSOCIATION DE L'INTELLECTUEL ET DE L'AFFECTIF.

1 - L'intellectuel et l'affectif.

Ici Freud nous conduit, dit Hyppolite, dans un procès d'extrême subtilité philosophique où il ne faut pas laisser passer dans l'irréflexion de son usage courant cette remarque à laquelle Freud va s'attacher qu'ici: "l'intellectuel se sépare de l'affectif". Il s'agit de substituer la négativité véritable à l'instinct de destruction.

Freud ne montre pas comment l'intellectuel se sépare de l'affectif, mais comment il est, l'intellectuel, cette sorte de suspension du contenu auquel ne disconviendrait pas le terme de sublimation (Lacan ajoute en bas de page qu'il entend donner à ce terme sa stricte définition pour l'analyse, promesse tenue depuis le séminaire sur l'Ethique). C'est ici que naît ici la pensée comme telle, mais ce n'est pas avant que le contenu ait été affecté d'une dénégation.

2 - L'affectif primordial.

Le rôle que Freud fait jouer à cet affectif primordial, en tant qu'il va engendrer l'intelligence, il faut l'entendre comme une forme primaire de relation que psychologiquement nous appelons affective. Elle-même est située dans le champ distinctif de la situation humaine, et que si elle engendre l'intelligence, c'est qu'elle comporte déjà à son départ une historicité fondamentale: "il n'y a pas l'affectif pur d'un côté, tout engagé dans le réel, et l'intellectuel pur de l'autre, qui s'en dégagerait pour le ressaisir", dit Hyppolite. Il s'en remet à l'interprétation que donne Lacan à cet affectif primordial en tant qu'historicité. A plusieurs endroits Lacan donne des points de repère pour comprendre l'historicité de cette forme primaire de relation:

"Les événements s'engendrent dans une historisation primaire, autrement dit l'histoire se fait déjà sur la scène où on la jouera une fois écrite, au for interne comme au for externe. [...] Ce que nous apprenons au sujet à reconnaître comme son inconscient, c'est son histoire, - c'est-à-dire que nous l'aidons à parfaire l'historisation actuelle des faits qui ont déterminé déjà dans son existence un certain nombre de "tournants" historiques. Mais s'ils ont eu ce rôle, c'est déjà en tant que faits d'histoire, c'est-à-dire en tant que reconnus dans un certain sens ou censurés dans un certain ordre" (9). "L'histoire n'est pas le passé. L'histoire est le passé pour autant qu'il est historisé dans le présent - historisé dans le présent parce qu'il a été vécu dans le passé" (10). Et Lacan rajoute, "Le centre de gravité du sujet est cette synthèse présente du passé qu'on appelle l'histoire" (11).

Ainsi il reviendra après l'exposé d'Hyppolite sur "l’ambiguïté toujours entretenue autour de la fameuse opposition de l'intellectuel et de l'affectif - comme si l'affect était une sorte de coloration, de qualité ineffable qui devrait être cherchée en soi-même, d'une façon indépendante de la peau vidée que serait la relation purement intellectuelle d'une relation du sujet. [...] L'affectif n'est pas comme une densité spéciale qui manquerait à l'élaboration intellectuelle. Il ne se situe pas dans un au-délà mythique de la production du symbole qui serait antérieur à la forme discursive" (12). "Ce que Freud désigne ici par l'affectif, n'a donc [...] rien à faire avec l'usage que font de ce terme les tenants de la nouvelle psychanalyse, en s'en servant comme d'une qualitas occulta psychologique […] L'affectif dans ce texte de Freud est conçu comme ce qui d'une symbolisation primordiale conserve ses effets jusque dans la structuration discursive" (13).

Nous voyons bien comment il faut comprendre cette dialectique en excluant toute interprétation en termes de psychologie des facultés.

 

3. L'ORIGINE DU JUGEMENT ET DE LA PENSEE.

Poursuivons l'analyse du texte d'Hyppolite:

1 - La genèse freudienne n'est pas de la psychologie, mais elle est un mythe.

Ces quelques remarques, permettent de souligner le versant mythique, logique dirons nous, de cette genèse. A partir des développements exposés dans Pulsions et destins des pulsions, Freud reprend dans son texte la dialectique des pulsions les plus anciennes, c'est-à-dire orales, pour y situer la genèse de la fonction de jugement. Hyppolite refuse le caractère de psychologie positive de cette genèse: "Elle me paraît plus profonde en sa portée comme étant de l'ordre de l'histoire et du mythe".

2 - Dialectique de l'instinct de l'unification et de la destruction

C'est donc dans la dialectique de deux contraires qu'il faut saisir cette genèse. En 1915, de son propre aveu, Freud n'arrive pas à concevoir la négation du couple formel des tendances globales de l'être: "On préférerait voir dans l'amour l'expression de la tendance sexuelle totale, mais on n'est pas pour autant tiré d'embarras et l'on ne sait comment concevoir un contraire matériel à cette tendance" (5)

Dix ans après, dans le texte que commente Hyppolite, il remarque: "Deux instincts qui sont pour ainsi dire entremêlés dans ce mythe que porte le sujet: l'un celui de l'unification, l'autre celui de la destruction". Il s'agit d'un grand mythe qui répète d'autres, dit Hyppolite, songeant peut être à Empédocle. On a en quelque sorte le couple formel de deux forces premières: la force d'attraction et la force d'expulsion, toutes deux sous la domination du principe du plaisir.

3 - L'aliénation.

"La portée de la formation de ce mythe est celle de l'aliénation qui se fonde en ces deux termes", dit Hyppolite. Ce qui se traduit dans leur opposition formelle devient au-delà "aliénation et hostilité entre les deux". L'aliénation, selon le commentaire que Lucien Sève fait de la notion d'Hegel (15), c'est le procès dialectique universel par lequel, suivant son propre développement nécessaire, la chose s'objective dans une autre où elle semble devenue étrangère à elle-même, bien que cette autre ne soit que l'autre d'elle-même - le procès par lequel elle passe en son contraire qui la nie tout en la développant. Mais le mouvement dialectique ne s'arrête pas là, il dépasse chaque moment particulier. Le contraire passe lui-même à son contraire, retrouvant le point de départ mais sur un plan supérieur, par une négation de la négation.

4- Jugement d'attribution et Jugement d'existence. Dialectique de l'introjection et de l'expulsion. Genèse de l'extérieur et de l'intérieur

Poursuivons la lecture d'Hyppolite: "Le jugement a donc dans la dialectique des pulsions orales, sa première histoire. Freud y distingue deux types: jugement d'attribution et jugement d'existence".

Ferrater Mora (4) considère le jugement du point de vue logique et du point de vue de ses implications métaphysiques: le premier, qui correspond au jugement d'attribution, est l'affirmation ou la négation de quelque chose (un prédicat) par rapport à un sujet. Selon la conception traditionnelle dans le jugement nous proposons, affirmons ou admettons l'existence de quelque chose, en conséquence le jugement est proprement jugement d'existence.

Derrière le jugement d'attribution il y a le "je veux m’approprier, introjecter" (l'affirmation) ou le "je veux expulser" (la négation). Il y a, au début, dans le "il était une fois" mythique, un sujet pour lequel il n'y avait encore rien d'etranger.

La distinction de l'étranger et de lui-même, c'est une opération d'expulsion: "ce qui est mauvais, ce qui est étranger au moi, lui est d'abord identique".

Le procès qu'y mène, "qu'on a traduit par rejet, est accentué par l'utilisation du terme Austossung", qui signifie expulsion. Il y a une opération qui est l'opération d'expulsion et sans laquelle, l'opération d'introjection n'aurait pas de sens. C'est l'operation primordiale où ce qui sera le jugement d'attribution se fonde.

Et Hyppolite remarque que Freud montre ce qu'il y a derrière le jugement d'attribution et celui d'existence: le jugement d'attribution se fonde dans la négation. Mais cette négation est encore en deçà de la négation symbolique.

"Ce qui est à l'origine du jugement d'existence, c'est le rapport entre la représentation [qui serait l'objet interne, perdu] et la perception [objet externe]. Ce qui est important, c'est qu' "au début" il est égal et neutre de savoir s'il y a ou s'il n'y a pas: Il y a. Le sujet reproduit sa représentation des choses de la perception primitive qu'il en a eu. Quand maintenant il dit que cela existe (l'existence réelle d'une chose représentée), la question est de savoir non pas si cette représentation conserve encore son état dans la réalité, mais s'il pourra ou ne pourra pas la retrouver (dans la perception réelle). Le jugement d'existence c'est retrouver à nouveau son objet".

Mais pour la psychanalyse cet objet n'est jamais retrouvé. Et la répétition, dit Hyppolite, prouve que Freud se meut dans une dimension plus profonde que celle où Jung se situe. Et Lacan de s'interroger en bas de page: "L'auteur veut-il indiquer ici la réminiscence platonicienne?". Platon (14) dit dans le Phèdre, "Une intelligence d'homme doit s'exercer selon ce que l'on appelle l'Idée, en allant d'une multiplicité de sensations vers une unité, dont l'assemblage est acte de réflexion. Or cet acte consiste en un ressouvenir des objets que, jadis, notre âme a vus, lorsqu'elle s’associait à la promenade d'un dieu, lorsqu'elle regardait de haut tout ce à quoi, dans notre existence, nous attribuons la réalité, et qu'elle levait la tête vers ce qui est réellement réel. [...] C'est en usant droitement de pareils moyens de souvenance qu'un homme dont l'initiation à des parfaits mystères est toujours parfaite est seul à devenir réellement parfait".

Ce dont il s'agissait dans le jugement d'attribution c'est d'expulser ou introjecter. Dans le jugement d'existence, il s'agit d'attribuer au moi, ou plutôt au sujet une représentation à laquelle ne correspond plus mais a correspondu dans un retour en arrière son objet. ce qui est en cause ici, c'est la genèse de l'extérieur et de l'intérieur.

5 - Dialectique entre l'affirmation et la négation.

Hyppolite souligne une dissymétrie exprimée par deux mots différents dans le texte de Freud, entre le passage a la affirmation à partir de la tendance unifiante de l'amour, et la genèse, a partir de la tendance destructrice, de cette dénégation qui a la fonction véritable d'engendrer "l'intelligence et la position même de la pensée".

Derrière l'affirmation (Bejahung), il y a la Vereinigung (unification), qui est Eros. Et derrière la dénégation il y a l'apparition d'un symbole fondamental dissymétrique. "L'affirmation primordiale, ce n'est rien d'autre qu'affirmer; mais nier c'est beaucoup plus que vouloir détruire". Pour la négation, Freud n’emploie pas le mot d'Ersatz, mais le mot Nachfolge: "L'affirmation est l'Ersatz de la Vereinigung, et la négation le Nachfolge de l'instinct de destruction (expulsion)."

6 - Dissymétrie entre négativité véritable et destruction. Dialectique de la Conscience de Soi.

Ainsi, cette dissymétrie aura une importance fondamentale. Hyppolite rappelle à la rescousse Hegel, pour rappeller qu'il s'agit de substituer la negativite veritable à cet appétit de destruction qui s'empare du désir et qui est tel qu'à l'extrême issue de la lutte primordiale où les deux combattants s'affrontent. Si la lutte se poursuit à mort, il n'y aura plus personne pour constater la victoire ou la défaite de l'un ou de l'autre. Il n'y aura pas une négation idéale.

Cette lutte primordiale, qualifiée aussi de "meurtre hégélien" par Lacan, est le thème de la dialectique de la conscience. Dans la Propédeutique Philosophique Hegel (7) décrit les étapes de la conscience: "En général, la conscience est la connaissance d'un objet externe ou interne, qu'il se présente sans l'aide de l'esprit ou qu'il soit produit par lui. [...] La conscience est le rapport défini du Moi et d'un objet. [...] Suivant la diversité de son objet, la conscience a trois phases. Notamment, l'objet est ou bien l'objet en opposition avec le Moi, ou bien il est le Moi lui-même, ou bien il est quelque chose d'objectif qui appartient également au Moi: La Pensée. Ces déterminations [...] sont des moments de la conscience elle-même:

1) Conscience tout court. 2) Conscience de soi. 3) Raison".

Dans la Phénoménologie de l'Esprit (8) il dit: "La conscience de soi est tout d'abord simple existence pour soi; elle est identique avec elle-même par l'exclusion de tout Autre. Elle considère le Moi comme son essence et son objet absolu; dans cette immédiateté, dans ce simple état d'exister pour soi, elle est individuelle. Ce qui est autre vis-à-vis d'elle apparaît comme objet inessentiel avec un caractère de négativité. Mais cet Autre est également une conscience de soi; un individu apparaît en opposition avec un autre individu. [...] Dans la mesure où c'est l'Autre qui agit, chaque conscience poursuit la mort de l'autre. [...] Le rapport des deux consciences de soi est donc déterminé ainsi: elles s'éprouvent elles-mêmes et l'une et autre par une lutte à mort". Ainsi la dialectique de la conscience de Hegel est mise en parallèle avec tout le développement freudien.

7 - Négation idéale et négativisme psychotique. Instinct de destruction et forme de destruction.

La dénégation dont parle Freud ici, pour autant qu'elle est différente de la négation idéale où se constitue ce qui est intellectuel, nous montre justement cette sorte de genèse dont Freud, au moment de conclure, désigne le vestige dans le négativisme qui caractérise certains psychotiques.

Il faut absolument séparer l'instinct de destruction de la forme de destruction (la négation symbolique), car on ne comprendrait pas ce que veut dire Freud. "Il faut voir dans la dénégation, dit Hyppolite, une attitude concrète à l'origine du symbole explicite de la négation, lequel symbole explicite rend seul possible quelque chose qui soit comme l'utilisation de l'inconscient, tout en maintenant le refoulement".

8 - Création du symbole de la négation. Négation de la négation.

Seulement, dit Freud, "l'accomplissement de la fonction du jugement n'est rendu possible que par la création du symbole de la négation". C'est que la négation va jouer un rôle non pas comme tendance a la destruction, non plus qu'à l'intérieur d'une forme de jugement, mais en tant qu'attitude fondamentale de symbolicité explicitée.

"La création du symbole de la négation qui a permis un premier degré d'indépendance à l'endroit du refoulement et de ses suites et par là aussi de la contrainte (Zwang) du principe du plaisir."

Qu'est-ce que signifie dès lors cette dissymétrie entre l'affirmation et la négation? Elle signifie que tout le refoulé peut à nouveau être repris et réutilisé dans une espèce de suspension, et qu'en quelque sorte au lieu d'être sous la domination des instincts d'attraction et d'expulsion, il peut se produire une marge de la pensée, une apparition de l'être sous la forme de ne l'être pas, qui se produit avec la dénégation, c'est à dire où le symbole de la négation est rattaché à l'attitude concrète de la dénégation.

Tel apparaît à Hyppolite le sens de la phrase de conclusion: "... et que la reconnaissance de l'inconscient du côté du moi s'exprime dans une formule négative".

BIBLIOGRAPHIE DE L'ARTICLE

1) Althusser (L.), L'Avenir dure longtemps, suivi de Les Faits.

2) Dictionnaire des Philosophes, dirigé par Denis Huisman, P.U.F., 1984.

3) Dosse (F.), Histoire du Structuralisme, Livre de Poche, Biblio Essais, Tome I, pp. 120-121.

4) Ferrater Mora (F.), Diccionario de Filosofía Abreviado, Editorial Sudamericana, Buenos Aires, 1983.

5) Freud (S.), Pulsions et destins des pulsions, in Métapsychologie, Folio Essais, Gallimard, 1986, p. 34.

6) Hegel (W.), Morceaux choisis, Folio Essais, Gallimard, 1995, pp. 211-212.

7) Hegel (W.), Morceaux choisis, Folio Essais, Gallimard, 1995, pp. 327-338.

8) Hegel (W.), Morceaux choisis, Folio Essais, Gallimard, 1995, pp. 339-348.

9) Lacan (J.), Fonction et Champ de la parole et du langage en psychanalyse, in Ecrits, Seuil, 1966, p. 261.

10) Lacan (J.), Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, Seuil, 1975, p. 19.

11) Lacan (J.), Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, Seuil, 1975, p. 46.

12) Lacan (J.), Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, Seuil, 1975, p. 69.

13) Lacan (J.), Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la" verneinung" de Freud, in Ecrits, Seuil, 1966, p. 383.

14) Russ ( J.), Philosophie, Les chemins de la pensée, Armand Colin, 1988, pp. 45-46.

15) Sève (L.), Une introduction à la philosophie marxiste, Editions Sociales, 1980, p. 101.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE D'HYPPOLITE.

1) Traductions de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel 1939-41, et de la Préface de La Phénoménologie, 1966.

2) Genèse et Structure de La Phénoménologie de l'Esprit, 1946.

3) Introduction à la Philosophie de l’histoire de Hegel, 1948.

4) Logique et existence, essai sur la logique de Hegel, 1953.

5) Etudes sur Marx et sur Hegel, 1955.

6) Sens et Existence dans la philosophie de Maurice Merleau-Ponty, 1963.

7) Leçon inaugurale au Collège de France, 1964. Hegel et la Pensée moderne (Séminaire de J. Hyppolite), 1970.

8) Figures de la pensée philosophique (la plupart des articles de J. Hyppolite, réunis et publiés par Dyna Dreyfus), 1971.

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