Psicoanálisis, Ciencia y Posmodernismo

Réponse à un défi
(En réponse à Sokal et Bricmont)
Serge Hajlblum


À lire Sokal et Bricmont, je suis tenté de dire qu' hélas, toutes ces choses des sciences dites dures passent, à un moment où à un autre, par la langue. Non seulement ça n' empêche pas de parler dans la langue commune, mais il y a comme une nécessité dans ce passage. C' est Einstein, Heisenberg, Böhr etcS, dans leurs écrits "plus subjectivistes" comme les auteurs les qualifient, qui ont éprouvé cette nécessité de faire part à un public plus large de ce qui était réservé au cercle des connaisseurs, des chercheurs, des découvreurs et inventeurs, de ces langues formelles que sont celles des sciences. Ces écrits sont-ils de vulgarisation recevable, reprenable? Et que serait une vulgarisation non reprenable, abandonnée à un destin de machine à jamais célibataire?

Alors, en introduction, les auteurs posent un défi: "nos détracteurs ne font aucune critique concrète", défi répété en conclusion de ce même article paru dans Le Monde daté du 12 décembre 1997: "il est triste de voir nos détracteurs répéter les mêmes généralitésSsans prendre la peine de défendre un seul des textes que nous critiquons". J' aurais beau jeu de dire que les textes se défendent tout seuls, y compris dans leurs erreurs et contradictions, pourvu qu' ils soient lus. Mais voyons.

Par exemple: à quoi sert d' introduire la discussion de Lacan par cette citation de sa conférence à l' Institut J. Hopkins de 1970? si ce n' est à ouvrir en concluant tout de go: "Le lecteur n' arrivera pas à comprendre ce que ces différents objets topologiques ont à voir avec la structure des maladies mentales." Quand même, Lacan y a travaillé depuis ce moment pendant onze années, et durant quelques années précédentes du Séminaire, et je les invite à aller y voir avant que d' affirmer de telles choses. Mais, à l' égard de cette longue citation d' une retranscription, juste quelques remarques. Tout d' abord, mais je vais juste glisser, Lacan n' a à aucun moment, je dis bien aucun moment, parlé de cross-cut. Il s' agit certainement et d' une maladresse d' élocution jointe à une erreur d' audition avec, de plus, un trouble dans la retranscription: Lacan ne relisait pas ce qui était retranscrit tant par d' autres que par lui-même: il a même écrit quant à son malaise vis-à-vis de toute relecture; ce qui pose un problème et pratique, et théoriqueS Alors il aurait été d' honnêteté intellectuelle de faire une autre remarque que celle-ci: "Le cross-cap (appelé par Lacan "cross-cut")S" , par exemple en se référant à L' Étourdit -parce qu' il est un des écrits de référence pour les auteurs- où Lacan nomme bien le cross-cap, et à de multiples reprises, cross-cap!

Une seconde remarque essentielle. Il est nécessaire, avec Lacan, de différencier l' ensemble de ses écrits des (re)transcriptions, fussent-elles autorisées -une lecture attentive de certains Séminaires établis par J.A. Miller, ça a été fait, en démonte des maillages d' erreurs, des arrangements etcS- Il y en a de bonne qualité, d' autres de moins bonne tenue, mais enfin aucune, sauf une -La Science et la Vérité qui conclut ses Ecrits, qui est une (re)transcription de J.A. Miller et dont nous avons trois versions différentes- qui soit signée de J. Lacan. Il y a là une question majeure avec tout texte présenté comme étant de Lacan, que le lecteur attentif ne peut pas ignorer, et qui oblige à manier la citation avec cette prudence qui est de toujours interroger la référence.

Les scientifiques que sont Sokal et Bricmont, habitués des publications et de leurs critiques, doivent pour le moins être au fait de la différence entre un écrit, une publication signée, et une retranscription, due à un tiers, d' une intervention orale, formerait-elle, pour ce qui concerne Lacan, l' ensemble titré le Séminaire.

Je me permets ce rappel parce que, par l' intermédiaire de M. Paul Gerardin, professeur de mathématiques cité dans la longue liste des remerciements aux intellectuels et scientifiques ayant discuté leur travail, je leur ai fait tenir des transcriptions différentes de séminaires de Lacan, où n' apparaissent pas des mésusages ou erreurs qu' ils relèvent. Ce qui témoigne uniquement des incertitudes quant aux retranscriptions et de la valeur différente que le lecteur a à accorder à ce qui est écrit et signé de l' auteur. Lacan, d' ailleurs, en a fait et une théorie et une pratique de la publication: voir par exemple le numéro ' de Scilicet, revue de l' Ecole Freudienne de Paris dirigée par Lacan.

Par ailleurs. Avec J.M. Vappereau et R. Lew, psychanalystes, je leur ai fait transmettre un texte les prévenant, entre autres, quant à leurs références. Plus: nous leur avons proposé, avant la publication de leur livre, une rencontre et discussion, avec des scientifiques de sciences dures, quant à la critique qu' ils font de Lacan entre autres, et à leurs thèses. Nous n' avons reçu aucune réponse concrète: si ce n' est cet écho rapporté, comment discuter si nous ne parlons pas le même langage?

Quelle valeur accordent-ils donc à la discussion, à la critique? Faudrait-il parler le même langage, être entre soi, bien au chaud dans les mêmes hypothèses quant à des objets identiques pour se parler? Je m' interrogerais quant à la valeur scientifique d' une telle réflexion, si ce qui m' a été rapporté est exact.
Même là: est-ce que les scientifiques des sciences dites dures sont en accord avec Sokal et Bricmont? À lire les ouvrages de J.M. Levy Leblond par exemple, il est permis d' en douter.
Alors; parlent-ils dans le fil des développements des sciences dites dures , ou au nom d' une certaine idée ou représentation de ces sciences?

Et si le même "scénario" se répète, à savoir que "nos détracteursS admettent implicitement que ce que nous disons est vrai, mais expliquent queSce n' est pas bien de le dire" est-ce bien au nom d' une morale du "pas bien" toute en dénégation, ou bien cela relève-t-il aussi de ce que le propos même de Sokal et Bricmont n' est pas clair, n' est pas explicité malgré tous leurs efforts et aspirations, et est truffé de présupposés implicites?

Par exemple: pourquoi critiquer certains des écrits de Bohr et d' Heisenberg -et pourquoi pas d' Einstein: jusques et y compris ses échanges avec Freud?- au nom de leur subjectivisme: pourquoi ne pas citer le mathématicien René Thom qui n' a pas hésité à débattre publiquement avec Lacan et qui jamais n' a tiré de telles conclusions quant à l' usage, ou au mésusage, de formulations empruntées au domaine scientifique ? si ce n' est dans cette supposition que, pour les sciences qualifiées de dures, il ne saurait y avoir quelque dimension de sujet. Mais ces scientifiques eux-mêmes, par de tels écrits, nous disent bien, à leurs diverses manières, que les sciences même dures ne vont pas sans quelque sujet. Ce mouvement serait au moins à discuter avant que d' être tranché dans le mépris du subjectivisme. Plus: rejeter ainsi leurs mouvements, n' est-ce pas faire un tri parmi les scientifiques des sciences dures entre d' un côté, ceux qui acceptent une dureté sans faille et d' un autre, ceux qui vont d' eux-mêmes à l' encontre de cette hypothèse.

Mais revenons un peu en arrière. Car, par-delà cette erreur de prendre pour argent comptant la référence de Lacan à quelque cross-cut, se dévoile tout un autre présupposé de lecture que le lecteur de leur ouvrage "Impostures Intellectuelles" se doit de questionner.

Les auteurs y font longuement référence à un écrit, difficile, signé Lacan, "L' Étourdit". Ils le citent sur près d' une page et demi dans leur ouvrage (pages 36-37) pour appuyer leur sentence: "Lacan exhibe devant des non-experts ses connaissances en logique mathématique". Je ne sais pas ce qu' il exhibe, ni même s' il exhibe: mais il écrit aussi dans ce même texte, concernant ses références aux mathématiques: "Il est facile de rendre cela sensible dans le discours de la mathématique où constamment le dit se renouvelle de prendre sujet d' un dire. J' ai dit discours de la mathématique. Non langage de la même." . Somme toute, il dit ici ne pas faire oeuvre de mathématicien. Psychanalyste il est dans la prise en compte des discours, tout simplement si j' ose!

Par ailleurs, le linguiste R. Jakobson -mais est-ce un scientifique?- auquel Lacan se réfère beaucoup, lui a fait une remarque similaire à propos de son usage du concept de métonymie. Il lui a signalé qu' il confondait métonymie et synecdoque. C' est dire que de telles remarques -d' erreur, de confusion- ne datent pas d' aujourd' hui, et contribuent même à une efficace du symbolique dans le champ de la psychanalyse.

Que Lacan soit psychanalyste, voilà ce que Sokal et Bricmont dénient, dans ce sens où la psychanalyse l' entend: ils le mentionnent mais pour mieux ne pas en tenir compte. Soit, par exemple, ce qu' ils écrivent: "Il est évident que personne, et en particulier aucun scientifique, ne force Lacan ou Deleuze à discourir comme ils le font. On peut parfaitement être psychologue ou philosophe." . Cette phrase invite à penser que si le titre de philosophe est lié au nom de Deleuze, celui de psychologue se nouerait au nom de Lacan, faute de quoi cette phrase serait à jamais incompréhensible! ou encore: "La même chose {une influence certaine} vaut pour Lacan en psychologie." Eh bien non, Messieurs Sokal et Bricmont, Lacan n' est pas psychologue et n' a pas influencé la psychologie: d' ailleurs il critique longuement dans ce texte "L' Étourdit" la psychologie et ses assises de normalité: "Le malheur est que le psychologue, pour ne soutenir son secteur que de théologie, veut que le psychique soit normal, moyennant quoi il élabore ce qui le supprimerait." . Il est dans le même mouvement que Freud demandant, exigeant de la psychanalyse qu' elle se mette hors du champ et de la psychiatrie, et de la psychologie. Est-ce là la raison pour laquelle pour laquelle, entre autres, la longue citation qu' ils donnent de "L' Étourdit", n' est faite que de certains extraits -il y a dans ce texte de longues interventions reprenant la topologie, la bande de Möebius et ses diverses formes de coupure-, c' est-à-dire aussi de coupures, mis ensemble, formant un tout malgré les précautions typographiques des points de suspension, extraits courant des pages ' 4 à 22 , soient 8 pages de l' article de Lacan (cela valait-il de le signaler?): Freud appelait cette opération la censure. Entre temps, dans les passages coupés, Lacan critique l' organo-dynamisme, parle, encore, de psychanalyse, de psychose, du sexuel, de topologie, de cross-cap (en italique dans le texte)!

Que la psychanalyse ne se noue pas à l' empirie, ce depuis les toutes premières publications de Freud sur l' Aphasie, voilà qui n' est pas tolérable aux auteurs. Par exemple: "L' activité scientifique a toujours comporté une interaction complexe entre observation et théorie, et les scientifiques le savent depuis longtemps. La science soi-disant ŒempiristeŒ n' est qu' une caricature appartenant aux mauvais manuels scolaires. Néanmoins, il faut bien justifier nos théories sur le monde physique ou social {je souligne} d' une façon ou d' une autre; or, si l' on abandonne l' apriorisme, l' argument d' autorité et la référence à des textes sacrés, il ne reste pas grand chose d' autre comme méthode que la confrontation des théories aux observations et aux expériences." et deux lignes plus loin: "Certains des textes que nous avons cités ignorent complètement l' aspect empirique de la science et se concentrent exclusivement sur le formalisme théorique et le langage." Comme si le monde physique et le monde social étaient rapportables? équivalents? analogues?. Et quand bien même cela serait, le monde que la psychanalyse ouvre, si tant est qu' elle ouvre un monde, serait-il aussi le même que celui de la physique, que celui du social? Peut-on parler de cette manière continue de "nos théories sur le monde"?

Qu' il y ait un monde nommé comme étant le monde, le même et unique pour toutes les dites sciences, et voilà bien un autre implicite qui rend possible d' argumenter, ultima ratio, cette nécessité une de "justifier" "nos théories", cette nécessité s' avérant au bout du compte, naturellement, fatalement empirique.

Il aurait valu que les auteurs s' attardent un peu sur cette question, quelle est donc l' expérience de la psychanalyse? avant que d' y répondre par le modèle physique. Il aurait fallu que les auteurs s' interrogent sur ce que la psychanalyse élabore depuis Freud jusqu' à Lacan, cette différence entre la réalité et le Réel pour qu' ils cessent de les confondre et de passer de l' un à l' autre au nom d' une théorie du fait appelée de la même manière tant pour la physique, pour la sociologie que pour la psychanalyse ravalée alors au rang d' une psychologie.

Il aurait valu que les auteurs s' interrogent sur la nature de l' expérience de la psychanalyse, et entendent qu' elle est tout d' abord, et ce depuis sa naissance, une expérience de la parole et du langage: et cette expérience là n' est ni d' observation ni d' expérimentation, mais d' Inconscient et de transfert. Ça gêne, ça fait désordre dans certaines rationalités dites des lumières. Et c' est heureux!

Ça fait désordre dans ces rationalités telles que représentées par N. Chomsky qui, il faut le souligner, est une des références qui comptent pour Sokal et Bricmont. Dans sa rationalité politique par exemple, telle que, par exemple, longuement citée, contre le post-modernisme, à propos précisément de l' Egypte et d' Israël, à la page 20' de leur ouvrage. Faudrait-il rappeler à Sokal et Bricmont, que le déprimant de la position de N. Chomsky donneur de leçons sur le modernisme en politique , se situe justement dans la caution publique qu' il a apporté -au nom et de la liberté de penser, et des faits, et des preuves, au nom de cette empirie élevée au rang de ce que j' appellerai, pour le moins, un égarement scientifique évident ou une grotesque bouffonnerie - à tout ceux qu' on appelle les négationistes et qui ne sont que de simples faussaires et falsificateurs jouant toutes les perversions de l' empirie: est-ce que le fait d' expérience c' est le pou ou la chambre à gaz? Encore une fois, est-ce une erreur ou plus: une indifférence, un mépris qui alors renverrait les théories de Chomsky et de ceux qui s' y réfèrent pour sa tenue politique, à cette Imposture Intellectuelle? De ça aussi, J. Lacan parle non seulement dans L' Étourdit, mais tout au long de son Séminaire.

Alors, les auteurs ont un art de relever les âneries, erreurs, bêtises des uns et des autres aussi grand que leurs facultés d' omettre, de couper, de ne pas tenir compte, de tripatouiller les textes qu' ils ont survolé en s' abstenant très rigoureusement de les soumettre à cette critique élémentaire qui tient dans ce jeu de questions: quel est le texte que je lis, quel est le contexte de cet écrit, comment je le lis, jusqu' où cela porte-t-il etc. Et à se référer aux textes cités, à leurs tronquages faits de découpages, d' incompréhensions -de la différence entre le Réel et la réalité- qu' est-ce qu' on rencontre finalement: une autre Imposture Intellectuelle faite de présupposés implicites, de concepts -dont celui de fait- manipulés à l' emporte pièce, à la va comme je te pousse dans mon sens évidemment, de ravalement -de la psychanalyse en psychologie- enfin de dénégations à tout va.

Alors non, Messieurs Sokal et Bricmont, vous ne posez pas des questions "vraies": parce que la vérité d' une question n' est pas indépendante des théories qui la mettent au jour: de la même manière, puisque vous avez aussi une visée politique, que Le Pen, en France, ne pose pas des questions vraies et justes. Et s' il "n' est pas bien de le dire" , ce n' est pas parce que ça a à rester dit en sourdine dans l' espace d' un entre nous, tu, caché: mais c' est bien par ce qu' en le disant, on avalerait des couleuvres théoriques et pratiques inadmissibles car, c' est aussi un fait d' expérience, menant au pire. Non Messieurs Sokal et Bricmont, vous posez des questions fausses.

Alors de grâce messieurs, laissez-nous dans l' humanité de nos bêtises, de cette dummheit qui s' élabore comme rêves, actes manqués, lapsus, enfin formations de l' Inconscient, jusqu' à se manifester par les rituels obsessionnels, les peurs phobiques, les angoisses hystériques, les percées de délires gardés par devers soi: nous acceptons volontiers de vous rendre à votre intelligence et scientifique et politique sans faille, sans erreurs, sans folie voireS s' il n' était Cantor. Mais prenez garde à ceci: que vos théories, vos anathèmes, ne vous mènent, et vos lecteurs avec vous, bien plus loin que ce que vous ne pensez aujourd' hui. Et de cela, vous en êtes et en serez entièrement responsables.

Serge Hajlblum.
2' Rue du Vieux Colombier
75006 Paris.
0' 45492647


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