Política del Psicoanálisis

El conflicto JAM-SPP

PREMIÈRE LETTRE
adressée par Jacques-Alain Miller
à l'opinion éclairée

De Paris, ce 3 septembre 2001

Il y aura vingt ans dimanche prochain, le 9 septembre, disparaissait Jacques Lacan.

Son École était dissoute, ses élèves dispersés. Ils entraient dans des querelles inexpiables. Délivré d'un polémiste redouté, tout un petit peuple de confrères étrillés et de piaffants non-dupes proclamait partout que sa doctrine n'avait jamais été que du vent, une imposture, de la poudre aux yeux, et prophétisait que, le faux prophète une fois enterré, il ne resterait rien d'un engouement qui avait gagné en son temps toutes les sphères de l'intelligentsia.

L'histoire avait connu de semblables mystifications: Lucien en fit des satires immortelles; comme si la crédulité du public devait croître avec son éducation, l'âge des Lumières en fut prodigue, du diacre Pâris au Comte de Saint-Germain, à Mesmer, Cagliostro, et John Law ; Kant déconstruisit Swedenborg, mais Balzac, ou du moins Louis Lambert, fut swedenborgien; Victor Hugo faisait tourner les tables à Guernesey ; au début du siècle le sâr Peladan eut ses dévots, et, entre les deux guerres, Stavisky ses dupes ; Staline persuada aux Français que le communisme existait, tandis que Charles de Gaulle et Malraux leur firent croire qu'ils étaient tous, ou presque tous, des Jean Moulin ; l'étourdissant succès d'un Lacan, pour avoir été plus durable que celui de Minou Drouet, lui vaudrait une place dans la théorie des imposteurs ayant dupé une nation de gogos où, en dépit d'une élite d'esprits forts, le ridicule ne tue pas depuis longtemps.

Chacun constate ce qu'il en est vingt ans plus tard.

L'enseignement de Lacan est partout étudié : il l'est dans la psychanalyse, bien au-delà des élèves directs ; il l'est au-delà de la psychanalyse. Les praticiens qui s'en inspirent sont aujourd'hui plus nombreux que les membres de l'Association internationale (IPA) fondée par Freud en 1910. Au sein même de celle-ci, des courants lacaniens se développent. À l'occasion du centenaire de sa naissance en avril dernier, en dépit du différend historique qui les oppose, ipéistes et lacaniens purent se retrouver ici ou là dans le monde, dans un climat de parfaite urbanité, pour rendre hommage à une œuvre qui appartient désormais à leur patrimoine commun.

On dénombre déjà plus de vingt Colloques Jacques Lacan cette année : à Rome et à Saint-Pétersbourg, de Barcelone à Buenos Aires, à Jérusalem comme à Londres. Rien aux États-Unis, il est vrai. En Europe, une ville fait tache : Paris.

À Paris où Lacan naquit, travailla, et mourut, et d'où il fit rayonner notre langue - les Alliances Françaises à travers le monde peuvent dire combien de leurs élèves elles doivent à l'intérêt passionné porté aux écrits du fameux jargonneur -, quelques-uns, une petite compagnie, n'ayant rien appris ni rien oublié, se fait la gardienne du dogme, inhibe toute évolution, intimide les jeunes tombés sous sa coupe, bref se croit toujours en 1963, quand une Internationale alors toute-puissante dans la psychanalyse lançait ses foudres sur le dissident magnifique, l'excommuniait en grand style depuis Stockholm, et tentait de lui accrocher la sonnette des lépreux.

Ces malheureux font songer à ce manipule de soldats japonais que l'on trouva, voici quelques années, retranchés dans la brousse d'une île du Pacifique, et combattant les armes à la main pour le triomphe du Soleil levant. On les informa avec ménagement du temps qui avait passé, et des événements survenus.

N'y a-t-il donc personne parmi leurs amis pour réveiller doucement nos somnambules ? Pour leur apprendre que désormais partout dans l'Internationale - sauf en France, et dans la zone d'influence française - des voix s'élèvent pour regretter l'exclusion de Lacan et déplorer le schisme qui s'ensuivit? On ne saurait plus dire en 2001 que 2+2 font 5, comme, à la fin de 1984, le personnage d'Orwell dit 5 en montrant quatre doigts.

Non, j'ai tort sans doute : on peut le dire, comme de tout temps on put le dire. Il importe au bonheur de tous que l'on puisse dire que 2 + 2 font 5, car la liberté de pensée est d'abord celle de penser faux et d'écarter tous les faits. Mais depuis que nous vivons dans des États de droit, on doit supporter qu'un autre vienne vous dire que 2 mis avec 2 donne 4, au moins quand on compte sur ses doigts.

En vérité, Messieurs, je ne vous reproche rien. Il n'est qu'un seul coupable, et c'est moi.

Voici longtemps que je me tais et vous laisse dire, et vous dîtes le pire, et sur Lacan, et sur moi, et sur les lacaniens. Le Canard enchaîné me compare à mon frère Gérard, chroniqueur à France 2 et à Europe 1, animateur sur Arte, homme d'esprit sur TF1, et dit qu'il se montre et que je me cache.

Le Canard a raison. Comment venir ensuite vous reprocher de vous croire tout permis, et le reste?

Cependant, selon la forte parole de M. Fenouillard rappelée par Lacan, passées les bornes, il y a une limite.

Je veux bien être le gendre de Lacan pour l'éternité, et que l'on réduise les travaux qui consument mes jours à lui avoir donné une descendance. Je veux bien que l'on me réclame à tue-tête mon édition des Séminaires pour la débiner aussitôt, dans le même temps où, bien entendu, on l'utilise jusqu a plus soif - et qu'y compreniez-vous, dîtes-moi, avant que je ne vienne? Je veux bien que l'on ignore tout de ce que je fais, écris, publie, puisque je m'applique, avec un succès non démenti à ce jour, à le tenir à l'abri de votre intérêt.

Bref, je veux bien être votre paillasson, Messieurs, et le suis depuis vingt ans.

Cela m'a endurci, cela m'a valu l'amitié et la confiance de beaucoup, cela m'a aidé - oui, aidé, vous m'avez aidé - à créer l'Association mondiale de psychanalyse (AMP), la première association qu'on ait jamais vue depuis l'Internationale voulue par Freud, qui soit internationale aussi, et qui prenne ses effets de l'acte de fondation par lequel Lacan répondit en son temps à sa mise hors-la-loi par les soins des chics inquisiteurs de 1963.

Pourquoi la mesure est-elle comble ? - alors que j'ai tout supporté de vous, et que cela m'a été léger, je vous prie de le croire. Pourquoi soudain cette colère qui me prend, et au bout de laquelle j'irai?

Cela ne m'est pas complètement transparent.

Le plus simple est de dire que le contraste est trop violent entre l'émotion vraie que j'ai sentie chez nombre de vos collègues parlant de Lacan au Colloque que l'AMP tenait à Buenos Aires en avril dernier - et il y avait là les Présidents des deux "Sociétés composantes" de l'Internationale dans cette ville, et ils étaient mandatés par leurs membres, et leur émotion est devenue la mienne aussi -, le contraste est trop brutal entre la générosité de tel de vos anciens Présidents dont je m'honore d'être l'ami -, le contraste est trop raide entre la bienveillance avec laquelle on m'accueillit là-bas dans l'Internationale en me disant que j'y étais chez moi - et j'en restai médusé, et on me persuada en effet que la vieille maison avait changé, qu'elle n'était plus ce qu'elle fut au temps de l'Ego-psychology pourfendue par Lacan, et j'aimai ceux qui me disaient cela, qui me le disaient si bien, si gentiment, avec une passion pour la pensée et une ferveur pour la psychanalyse qui me semblent parfois avoir déserté les rives de la Seine pour le Rio de la Plata et la ville que Borges illustra (lui tenait Freud pour un auteur de science-fiction) - oui, il y a trop de contraste entre cela, et puis, ce qui me vient de vous.

Qu'est-ce qui me vient de vous?

On me met dans les mains le numéro d'une revue qui se publie à Paris. Ce numéro est sorti en juin. On me montre l'article d'un collègue, membre éminent d'une de deux "Sociétés composantes" de l'Internationale en France.

Ce collègue n'est pas un inconnu pour moi. Avec simplicité il était venu chez moi un soir voici quatre ans. Nous avions préparé ensemble un dialogue public où nous étions conviés dans une institution pour enfants de la région parisienne. Je lui avais demandé ce que je pouvais lire pour mieux saisir les fondements de sa pensée. Il m'avait renvoyé au livre de son père, qui fut l'analysant de Lacan et l'analyste de mon maître Althusser. Je lis ce livre, que j'avais négligé jusqu'alors. J'en fais devant le fils, en public, le commentaire le plus élogieux. J'écoute patiemment les commentaires critiques dont mon interlocuteur assaisonne sa lecture des Écrits, j' y réponds équanime, en m'efforçant de trouver avec lui un terrain d'entente, ou du moins de réduire le champ du malentendu. Tout cela est publié.

Que dit donc l'article paru ce mois de juin dont l'auteur est ce collègue connu de moi? Que ma présence au Congrès de l'Association internationale à Barcelone en 1997 suscita de vives réactions, non point en raison de divergences théoriques, mais parce que partisan je suis du principe de Lacan que "l'analyste ne s'autorise que de lui-même", lequel justifierait les "analystes sauvages". Que la passe inventée par Lacan comme méthode de sélection des analystes ne vaut rien, que l'École de la Cause que je dirige est seule à la pratiquer, que les autres groupes lacaniens, quant à eux, ont renoncé à toute forme de sélection, que de tout cela il résulte des risques pour le public. Cet article dit cela au moment où le milieu est agité par la perspective d'une réglementation des psychothérapies, et que chacun songe aux moyens qu'il pourrait avoir de démontrer son honorabilité aux pouvoirs publics.

Que cet article de cet auteur dans ce contexte me donne du déplaisir, un déplaisir profond, est-ce étonnant?

J'ai en effet assisté au 40ème Congrès de l'IPA à Barcelone en juillet 1997.

Je m'y étais inscrit de Paris, par fax, comme tout un chacun pouvait le faire, avec la signature d'un membre titulaire comme caution, en l'occurrence un Brésilien, un dignitaire, rencontré à un dîner à Sào Paulo, chez mon ami Jorge Forbes, qui fit le voyage avec moi. Mon inscription dûment acceptée, ma carte de crédit dûment débitée, je pris l'avion pour Barcelone. Je fus interloqué d'apprendre à l'arrivée que ma présence était une affaire, que le Grand Conseil de l'Internationale en avait été saisi par ses membres français, et que l'on siégeait sans discontinuer pour décider si me laisser entrer ou me renvoyer à Paris.

Un premier message de la Secrétaire de l'Association internationale m'informa que l'on consultait sur mon sort. Un avis me parvint ensuite, en anglais cette fois, sur papier à en-tête IPA Trust: je pouvais à mon choix être remboursé ou entrer. Je confirmai mon désir d'assister à ce Congrès où je restai trois jours, me fis quelques amis, et retrouvai de vieilles connaissances. Cet épisode eut lieu, veuillez le noter, il y a quatre ans; jamais je n'en dis un mot en dehors de mon cercle. Et ici même je tais encore beaucoup de détails.

Je n'ai pas pour habitude de déranger mes hôtes.

Pourquoi sortir en juin 2001 un épisode oublié, dont les tenants et les aboutissants furent connus de peu de monde? L'auteur de l'article n'était pas, que je sache, à ce Congrès. Il ne pouvait avoir vu le Président en titre de l'Internationale venir le premier matin me donner un abrazo au milieu de la grande salle. Il ignorait sans doute que celui-ci m'invita à prendre la parole, que je commentai en cinq minutes, du pied de la tribune, le cas clinique qu'il présentait, et que cette intervention me valut, à moi seul sur cinq ou six orateurs, l'ovation d'une assistance qui ignorait qui j'étais, puis des invitations dans quelques Sociétés de l'Internationale.

Quant à l'École de la Cause freudienne, mon confrère semblait ne pas savoir que celle-ci ne néglige nullement "la protection du public", et, en particulier, se porte garante auprès de lui de la qualité psychanalytique du travail et de la formation des plus expérimentés de ses. membres, auxquels elle décerne le titre de "Analyste membre de l'École".

Ces deux points me sont sensibles. C'est à Barcelone, à ce Congrès précisément, que je compris que l'IPA n'était pas une association telle que nous l'entendons, mais était une sorte de Parlement des nations de la psychanalyse, et qu'il ne pourrait y en avoir deux comme ça, c'est-à-dire que je ne pourrais pas, quelque cœur que je mette à l'ouvrage, créer l'équivalent. Quant à la formation des analystes, je suis incessamment à rappeler à mes compagnons du Champ freudien que la formation lacanienne, pour être moins formaliste que celle de l'Internationale, est d'autant plus exigeante. C'est d'ailleurs le thème de notre Congrès de l'année prochaine.

Je domine mon déplaisir à lire cet article, j'écris une lettre à son auteur, un confrère, que je connais, que j'ai reçu, que j'ai ménagé. Je le ménage encore, je lui dis que j'ai lu son texte avec intérêt, je rectifie les deux seuls points où mon nom est mentionné, je rectifie de la façon la plus sobre et laconique qui soit (on voit que je n'en suis plus là). Je demande au directeur de la revue l'insertion de cette lettre au titre du droit de réponse - réponse si brève, quelques lignes, qui ne dit rien du principe que "l'analyste ne s'autorise que de lui-même", tenu en sainte horreur par une hiérarchie dont en effet il ruine à la base les prétentions, réponse qui évite toute polémique, réponse minimale, faite pour être publiée par l'autre côté, pour ne froisser rien ni personne, pour ménager les susceptibilités de ces collègues français dont je sais les préventions, l'inquiétude que leur inspirent ces lacaniens qu'on leur décrit si nombreux, insaisissables, partout s'emparant du marché avec des méthodes de dumping.

J'envoie ma réponse le 9 juillet. De l'auteur, rien ne me vient en retour.

Du directeur, un mois et demi plus tard, me vient une lettre recommandée.

C'est non.

Nous ne publierons pas.

Nous parlons de vives réactions? Où avons-nous dit que ces réactions avaient été défavorables? Elles ont été vives, voilà tout. Vous avez reçu de vifs applaudissements? Cela confirme ce que nous écrivions. Ici l'on sait ce que parler veut dire.

Où avons-nous dit que vous manquiez à vos devoirs à l'endroit du public?

Nous avons dit, d'une part, que la passe était votre seule procédure de sélection et que vous étiez les seuls à la pratiquer. Nous avons dit d'autre part, ailleurs dans le texte, à la phrase suivante et à la phrase précédente, que la passe était une procédure de sélection inepte et inopérante quant à la protection du public. Mais c'est vous qui rapprochez ces deux passages, et pour en tirer des conclusions qui n'engagent que vous.

Je regrette de devoir gloser la réponse que me fit M. Paul Denis (je lui ai dit que je le rendrai peut-être célèbre, il faut bien que je commence à le nommer), car je ne crois pas pouvoir publier son texte sans son aveu, et je ne vois pas que j'aie chance de l'obtenir.

Donc, M. Denis me dit posément que blanc est noir, et que 2 et 2 sont: 2 d'une part, et 2 d'autre part, et qu'il faudrait un dieu, un démon de Maxwell, un Malin Génie, pour que cela fît 4.

M. Denis dénie que cet article ait rien qui doive m'émouvoir. Des réactions pour être vives ne sont pas nécessairement hostiles, il n'est pas déshonorant pour une association de pratiquer une sélection inepte, il n'est pas désobligeant pour une publication de le lui imputer. M. Denis est sûr que je niai a me plaindre de rien, que l'article qu'il a publié se suffit à lui-même, qu'il domine son sujet, qu'il n'a rien qui appelle la moindre information complémentaire. M. Denis m'informe au terme de sa démonstration qu'il ne publiera pas une ligne de ma lettre.

M. Denis ne dit pas : votre lettre est d'un piètre lecteur de ma revue, je la publierai pour votre confusion, j'y répondrai, vous n'y gagnerez que du ridicule. Non, M. Denis est meilleur que cela, il a l'amour de son prochain, il lui épargnera cette épreuve. La belle démonstration qu'il m'administre, M. Denis la fait pour mon seul bénéfice, le lecteur de sa revue n'en saura rien, ma réputation est sauve. Encensé j'étais par la revue, encensé je demeurerai, en dépit de tout, de mes contre-sens, de mon insurrection saugrenue. Comment ai-je pu m'imaginer un seul instant, voyez-vous cela, être maltraité, traité de façon inexacte et désobligeante, dans la revue de M. Denis! Je ne rendais justice ni au sens de la langue de M. Denis, ni au tact des manières de M. Denis.

Pour faire bonne mesure, et qu'il ne soit pas dit qu'il nie tout, M. Denis, après avoir pris la peine de m'expliquer comment on lit un texte quand on est M. Denis, admet de bonne grâce qu'il a laissé imprimer de travers le nom de l'Association mondiale, et, bien que nulle confusion n'ait été possible, précise-t-il, il pousse le fair play jusqu'à me présenter ses excuses.

Cependant, il m'a bâillonné.

Bref, M. Denis s'amuse. M. Denis se moque. Il a envoyé aux pelotes l'importun, il lui a fait la leçon, il ne publiera pas sa bafouille, il a mené cette affaire de main de maître. M. Denis est content de M. Denis.

Et maintenant que vous savez tout cela, que dîtes-vous? Bien joué, M. Denis.

Dieu vous bénisse.

Je ne puis donner à lire ni l'article de M. G*D*, ni la lettre de M. Denis.

Cependant, mes lettres à moi, oui, je le peux. Les voici.

Paris, le 9juillet 2001

Cher G*D*,

Ayant lu avec intérêt votre article paru dans le dernier numéro hors-série de la Revue française de psychanalyse, je dois cependant vous apporter une information contradictoire sur les deux points où mon nom est mentionné.

1) Vous évoquez " la vivacité des réactions suscitées par la présence de Jacques-Alain Miller, président de l'Association psychanalytique mondiale, au Congrès de l'Association psychanalytique internationale de Barcelone en 1997 ".

L'association que je préside s'intitule exactement Association Mondiale de Psychanalyse, ou AMP. Les vifs applaudissements dont fut salué mon commentaire public d'une présentation clinique, mes échanges impromptus avec de nombreux collègues, l'accueil chaleureux d'une haute personnalité de l'API, laissent penser que ma présence ne fut pas aussi malvenue que vous le donnez à entendre.

2) Vous imputez au " mouvement dirigé par Miller, l'École de la cause "de négliger ses responsabilités à l'endroit du public Je vous apporte un démenti formel. L'École de la Cause freudienne, association de quelque 300 membres fondée il y a vingt ans, donne sa garantie de formation à des praticiens dont elle publie la liste, et qu'elle tient pour être aptes à procurer le traitement qui est attendu d'eux.

Désireux que ces informations soient portées à la connaissance des lecteurs de la Revue française de psychanalyse, j'adresse également cette lettre à son Directeur en lui demandant de la publier dans sa plus prochaine livraison.

Veuillez agréer, cher G* D*, avec mon bon souvenir, les assurances de ma parfaite considération.

ENVOI PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE ET LRAR

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À M. Paul Denis,

Directeur de la Revue française de psychanalyse

Paris, le 24 août 2001 - 15h15

Monsieur,

Je trouve à l'instant votre lettre recommandée du 22 août par laquelle vous m'informez que vous refusez de faire droit à ma demande.

A moins d'être averti par vos soins, avant la fin de ce mois, que vous avez changé d'avis, j'en appellerai au tribunal qui nous départagera: celui de l'opinion publique.

Et ferai apparaître les causes proches et lointaines de la situation.

L'auteur de Éloge de la bêtise y gagnera peut-être de devenir célèbre.

Je vous prie de croire, Monsieur, à mes sentiments attentifs.

 

Dans l'instant où je lus la lettre recommandée de M. Denis, je sus que j'allais en découdre, et qu'une époque de ma vie était achevée.

Le mot du Canard déjà m'avait troublé: "il se cache". Qui écrivait cela?

Était-ce Claude Angeli, un ami de jadis, qui m'avait connu à une époque où je me cachais pour échapper à la police du sieur Marcellin, ministre de l'Intérieur, fléau des gauchistes ? "Il se cache", voilà la figure que je faisais désormais dans le monde, mais non plus celle d'un subversif parfois clandestin comme au temps de ma belle jeunesse: celle d'un pleutre. De fait, je n'avais rien dit quand le canular de Sokal avait donné occasion aux dessalés de toujours de moquer la science de Lacan et des structuralistes des années 60, je n'avais pas moufté quand m'arrivait par intervalles le sempiternel crachat de l'un ou l'autre de la petite compagnie que j'ai dite, j'avais encore gardé le silence l'an dernier quand d'anciens proches m'avaient consacré un ouvrage de pas moins de 300 pages, et je m'enorgueillissais, moi colérique fameux, de ma patience, moi passionné, de mon indifférence, j'y voyais la preuve que j'avais grandi enfin. Je pensais aussi avoir mieux à faire que de battre les estrades, ferrailler avec les amers et les nuls, faire le mariole dans les projecteurs.

Du jour où Lacan avait dissous son École, le 5 janvier 1980, on m'avait pris à partie, j'avais répliqué sur le ton le plus gai, je m'étais précipité et répandu dans toute la presse et à la radio pour dire ma jubilation. Puis, Lacan disparu, au fil du temps, petit à petit, absorbé par ma pratique de la psychanalyse, autant discipline austère pour l'agent que frémissante expérience pour le patient, je m'étais renfermé dans l'étude et dans le Champ freudien, créant cinq ou six Écoles de par le monde, formant deux ou trois générations d'analystes, et publiant une dizaine de livres, mais en espagnol, en portugais, en italien, car du public français je ne voyais avec douleur que la décadence, du moins quand il s'agissait de psychanalyse. Si vous êtes contents, pensais-je, des sornettes que l'on vous raconte sur Lacan, si l'un des grands humanistes de ce temps, dont les travaux me sont plus-de-jouir, peut éditer une superbe histoire de la rhétorique sans seulement mentionner Lacan et son Instance de la lettre, eh bien, grand bien vous fasse, Messeigneurs, vous vous passerez de moi pour vos jeux. Je quittai la table.

J'y reviens, je la renverse.

L'heure a sonné. L'innocent M. Denis l'a fait carillonner. Meunier, tu dors, sonnez les matines, les deux chansons de mon enfance qui captivaient le petit Jacques, Miller du nom (c'est meunier en anglais), se condensaient ici pour un branle-bas de combat qui n'avait que trop tardé.

Ding dang dong! Freud parle quelque part du cheval de Nida, qui était très sobre et très résistant; on lui retirait tous les jours un grain de son avoine, il maigrissait, mais survivait; mais lorsqu'on lui retira le dernier grain, il trépassa. Je fus ce cheval. M. Denis m'a retiré le dernier grain de mon avoine, je suis mort. Voici que je renais, autre que je n'étais. Le baiser d'une princesse, d'un crapaud fit un Prince charmant. Le recommandé de M. Denis a fait de Jacques-Alain le taciturne Jacques-Alain le furieux, qui donnera des coups d'estoc et de taille jusqu'à ce qu'on lui rende raison, et à son maître Lacan.

Ding dang dong! Je demandais si peu, de seulement détromper mes collègues qui lisent la revue de M. Denis et leur dire que, non, je n'avais pas été hué à Barcelone, OÙ si peu d'entre eux étaient que pas une fois en trois jours je n'entendis résonner notre langue en séance plénière - je parlai en espagnol, un autre Français s'exprima en anglais. Je ne voulais pas non plus leur laisser croire que l'École de la Cause freudienne était irresponsable, mais leur dire que nous étions aussi soucieux que personne d'informer et de protéger le public - les consommateurs de psychanalyse, quoi - et que nous étions dans notre École co-responsables de la pratique de nos membres ni plus ni moins qu'ils ne l'étaient eux-mêmes dans leur Société parisienne et leur Association française. Je ne songeais pas à polémiquer le moins du monde, ce n'était ni le lieu ni le moment, et je fis la lettre la plus douce, une lettre si douce qu'elle en était presque anodine, au point que mes amis jugèrent que, si c'était pour ne dire que cela, je pouvais aussi bien ne pas répondre du tout. Mais je voulais, moi, m'adresser à mes collègues français de l'autre bord, les informer, les faire réfléchir, non pas du tout les incommoder.

Ding dang dong! Ce fut la surprise de ma vie. J'étais persuadé que la revue ne pouvait manquer d'imprimer ma réponse comme relevant du plus élémentaire du droit de la presse toute personne mise en cause, nommément ou non, dans une publication périodique, a le droit de réclamer une insertion, dont elle (la personne) est seule juge de l'opportunité, et la publication est tenue de s'exécuter, sauf si les termes de l'insertion demandée sont outranciers, ou encore si le texte est d'une longueur excessive, auquel cas il est permis à la rédaction de l'abréger. Le refus d'imprimer un droit de réponse est passible des tribunaux, au pénal comme au civil, dans les trois mois.

Comment un citoyen rangé, respectueux des lois, comme j'étais devenu après mes folles années, serait-il allé à imaginer que le directeur d'une si auguste revue refuserait carrément la publication d'une si modeste missive?

Et que, sans la communiquer à ses lecteurs, non content de braver la loi, il prendrait la peine de me démontrer point par point que je ne savais pas lire?

Ding dang dong! Lecteur de cette lettre, si tu doutes de ma véracité, vas-y voir par toi-même. Demande à ton libraire, demande en bibliothèque, le numéro paru en juin sous le titre "Courants de la psychanalyse contemporaine". Je ne te dis pas de le lire ni de l'acheter, non, il fait plus de quatre cent pages et coûte 180 francs, la passion de la vérité peut n'aller pas jusqu'à ce sacrifice, mais jette donc un oeil sur les pages 389 et 390, et tu seras édifié sur mes raisons de me sentir mis en cause.

Ding dang dong! Lecteur, je te le demande, qu'aurais-tu fait à ma place? À quelle puissance en appeler? Au Président de la Société reconnue d'utilité publique dont la revue de M. Denis est l'organe ? Je lui avais envoyé par courtoisie la lettre dont je demandais l'insertion, sans être honoré d'une réponse de sa part, ni même d'un accusé de réception. Au Tribunal de Grande Instance de Paris? Maître Charrière-Bournazel aurait fait triompher ma cause, je n'en doutais pas un instant, connaissant assez mon Dalloz pour n'avoir jamais refusé un droit de réponse depuis que j'édite des revues (Lycée Louis le grand, 1960 - ce n'est pas d'hier). Mais poursuivre en justice une association quand je ne voulais que m'adresser gentiment à ses membres, et quand parmi ces membres il y a ma belle-mère, que j'aime et que je respecte ? À vrai dire, je n'y songeai même pas. Il se fit soudain en moi une révolution. Je résolus de renoncer à mon "il se cache" pour vider cette querelle, et décidai d'aller sur la place publique à la rencontre des passants qui voudraient bien s'intéresser au dol et à la doléance.

Ding dang dong! Lecteur, il est bien d'autres affaires de par le monde, et de plus d'envergure, je le sais comme toi, et c'est pourquoi je m'appliquais depuis longtemps à ne pas faire de vagues, à jouer DEL discret. Mais cette fois j'étouffais, et il me fallait faire appel à l'attention du public, il me fallait le bruit et la fureur. Il y avait choix forcé. Les choix forcés, forcés par l'impossible à supporter, sont les seuls qui vaillent, contrairement à ce qu'une vaine philosophie imagine.

Ding dang dong! Malgré mon désir d'en découdre aussitôt, je voulus néanmoins laisser à l'autre toutes ses chances d'en revenir. Peut-être avait-il mal mesuré ses mots ? Peut-être avait-il été mal conseillé ? Peut-être ignorait-il à qui il avait à faire? Ou, tout simplement, ignorait-il le droit de la presse? Ou alors, peut-être désirait-il que je le traîne devant les tribunaux pour aigrir à mon endroit les membres de sa Société? Il me fallait m'informer à l'avance de mes intentions: ni m'écraser, ni plaider en justice, mais déplacer notre différend dans la sphère publique, et y trouver l'occasion de rouvrir le contentieux historique qui fait partage dans la psychanalyse depuis bientôt cinquante ans. D'où ma lettre du vendredi 24 août, écrite sur le coup; je l'ai fait lire.

Ding dang dong! Tous les jours j'attendis sans l'espérer que le cœur de Pharaon se durcisse. Le croyant peu capable de revenir sur ses pas pour m'accorder ce que je lui demandais et finir ainsi toute l'affaire, je commandai le lundi 27 un bristol annonçant en manière de cartel une lettre ouverte que je composerai. Il est parti ce matin chez des destinataires choisis, et voilà que cette lettre, je l'achève alors que le soir tombe, sans en être venu encore au cœur du sujet.

J'en ai fini avec M. Denis.

Je ne lui en veux pas plus que ça. Moins que tout à l'heure. Encore quelques jours, et je l'aimerai tout de bon. Lu seul aura su réveiller le meunier de son sommeil dogmatique. Lu seul aura tiré de sa tanière celui qui se cachait. Il aura été l'agent de la Providence. La Providence, cela est bien connu, choisit pour exercer son ministère parmi les hommes les instruments les moins attendus.

M. Denis, je ne l'ai jamais rencontré. J'ai acheté son Éloge de la bêtise le soir du 24 août, chez Thann, mon libraire, où je l'avais aperçu la veille sur la table consacrée à la psychanalyse. Je n'ai encore fait que le feuilleter. Il m'a semblé qu'il commençait par parler des enfants que l'on donne pour bêtes, et qu'il prenait leur défense. Ce n'est pas antipathique, c'est même original. Il y a des analystes qui ont été de ces enfants, qui ont porté durant leur enfance ce stigmate de la bêtise, et qui sont sortis de là grâce à l'analyse. Je portais un stigmate tout à l'opposé, ce n'est guère plus facile.

Non, je ne laisse pas entendre que M. Denis est bête. M. Denis est un théoricien de la bêtise, plus précisément du "fonctionnement bête". Je ne permettrai à personne de dire que M. Denis est bête. C'est le signifiant qui est bête, disait Lacan. M. Denis, lui, est astucieux.

Qui d'autre qu'un grand malin qui connaît les ficelles aurait-il su mobiliser les ressources de rhétorique dont fait preuve sa lettre recommandée, que je suis fort marri de ne pouvoir reproduire? Fallait-il pas qu'il ait été un messager divin, celui qui eut le pouvoir de faire descendre sur moi le feu du ciel, m'anéantir et me ressusciter, et me mettre dans la main le glaive vengeur amoureux du fourreau?

Que les Dieux te soient propices, Ô Divin Denis! Va en paix. Je te laisse à tes savants travaux. Je parie que tu n'auras pas à te plaindre de m'avoir inspiré. Tes amis panseront tes plaies, et ta Société serait bien ingrate de ne pas t'élire, le moment venu, son Président. Tu me devras ton élection, et à ton mérite. Je t'en félicite par anticipation. Tu auras appris quelque chose de moi, qui te permettra de t'acquitter mieux de ta charge future.

C'est tout le mal que je te souhaite.

Tournant la page, je reprendrai maintenant cette histoire de plus haut, au déluge, je veux dire à l'excommunication de Lacan. L'incident de la revue doit beaucoup à l'idiosyncrasie d'un personnage rare, mais ce n'est qu'une cause prochaine. Les causes lointaines remontent à un demi-siècle. Tant que ces vieux comptes ne seront pas soldés, le nouveau - nouveau chapitre que je voudrais écrire un jour avec mes amis de l'Internationale, car j'en ai -fera antichambre. Une lettre est restée en souffrance dans l'histoire de la psychanalyse.

En attendant de composer ces jours prochains la seconde livraison que je te destine, Ô mon Lecteur éclairé, il me faut ce soir me consacrer à l'art d'être grand-père, et commencer de lire à mes deux petites-filles qui sont encore sans lettres le livre qu'elles m'apportent avec des mines gourmandes:

Les mémoires d'un âne.

Je suis, etc.

 

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